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Jugement n° 4622

Décision

1. La décision du Directeur général du BIT du 22 octobre 2019, ainsi que les décisions des 9 mai 2018 et 14 janvier 2019, sont annulées.
2. L’OIT versera à la requérante des dommages-intérêts pour préjudice matériel, ainsi que les intérêts y afférents, calculés comme il est dit au considérant 16 du jugement.
3. L’Organisation versera à l’intéressée une indemnité pour tort moral de 30 000 francs suisses.
4. Elle lui versera également la somme de 1 000 francs suisses à titre de dépens.
5. Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Synthèse

La requérante conteste la décision de résilier son engagement pour raisons de santé.

Mots-clés du jugement

Mots-clés

Requête admise; Licenciement; Raisons de santé; Résiliation d'engagement pour raisons de santé

Considérant 6

Extrait:

Une telle délégation eût été […] juridiquement impossible car il est de règle qu’une autorité ou un organe ne peut légalement déléguer ses compétences à un tiers en l’absence de texte statutaire l’y autorisant (voir, par exemple, les jugements 3494, au considérant 16, 1696, au considérant 5, ou 1477, au considérant 7 in fine). Or, aucune disposition n’envisageait évidemment l’attribution par la Commission d’invalidité d’une délégation de compétence à l’équipe multidisciplinaire ainsi mise en place, qui était une instance ad hoc non prévue par les textes statutaires de l’Organisation.

Référence(s)

ILOAT Judgment(s): 1477, 1696, 3494

Mots-clés

Délégation de pouvoir

Considérant 7

Extrait:

Le Tribunal observe que [l’]exigence de consultation présentait un caractère d’autant plus substantiel que la composition de la Commission d’invalidité – qui comprend notamment, en vertu de l’article 10.4 du Statut, un médecin désigné par le fonctionnaire concerné, ainsi qu’un autre médecin nommé en accord avec le premier et un membre nommé par le Comité du Syndicat du personnel – constituait une garantie, pour la requérante, que ne comportait pas celle de l’équipe multidisciplinaire, exclusivement composée de personnes désignées par l’Organisation.
Le fait, mis en avant par la défenderesse dans ses écritures, que la secrétaire de la Commission avait indiqué à la requérante, dans le courriel transmettant à celle-ci le rapport du 6 février 2017, que «[l]a procédure devant la Commission d’invalidité [était]t à présent terminée» et que «toute décision prise suite à ce rapport [lui] sera[it] communiquée directement par l’administration» n’est nullement de nature à faire obstacle à la nouvelle consultation de cet organe qui était ainsi requise. La mention de ces indications, qui relèvent de formules types utilisées lors de la communication de tels rapports, ne pouvait en effet, à l’évidence, empêcher la Commission d’exercer le pouvoir qui lui revenait dans l’hypothèse d’un échec de la mission d’identification d’un poste approprié confiée à l’équipe multidisciplinaire.

Mots-clés

Organe consultatif; Invalidité; Consultation

Considérants 10 et 13

Extrait:

En vertu d’une jurisprudence constante du Tribunal reposant sur un principe général du droit de la fonction publique internationale, la situation statutaire d’un agent ne peut être modifiée unilatéralement à son détriment par l’organisation dont il relève sans que l’intéressé ait été mis à même de faire valoir préalablement ses observations au sujet de la mesure envisagée (voir, par exemple, les jugements 3124, au considérant 3, 1817, au considérant 7, ou 1484, au considérant 8). Cette jurisprudence doit évidemment s’appliquer dans toute sa rigueur lorsque est en cause une décision aussi lourde de conséquences qu’une résiliation d’engagement.
[…]
Le Tribunal souligne que, loin de constituer une simple irrégularité formelle, la violation du droit d’être entendu […] a pu, en l’occurrence, avoir une incidence concrète sur le sort réservé à la requérante. Si l’intéressée avait été mise à même de faire valoir ses observations lors de la recherche d’un poste adapté à ses troubles fonctionnels, elle aurait en effet notamment pu fournir à l’équipe multidisciplinaire des indications utiles quant à la détermination des emplois relevant de son niveau de responsabilités qu’elle considérait elle-même comme susceptibles d’être aménagés en fonction de ses besoins, ce qui eût été de nature à permettre à cette équipe de se montrer plus efficace dans la conduite de la recherche en question. De même, si la requérante avait été autorisée à commenter le rapport de l’équipe avant que ne soit prise la décision statuant sur sa situation, elle aurait pu souligner certaines insuffisances dudit rapport, mises en évidence à juste titre par la Commission consultative paritaire de recours dans son avis, telles l’absence d’énumération précise des postes examinés dans le cadre de cette recherche ou la prise en considération trop limitée de ses possibilités de reconversion professionnelle. Ainsi, si le Tribunal estime que l’examen du dossier ne permet pas de tenir pour formellement établi que, comme l’a conclu cette commission, le BIT n’aurait pas sincèrement déployé tous les moyens à sa disposition pour identifier un poste susceptible d’être attribué à la requérante, il est clair, en tout cas, qu’il était indispensable à la qualité du processus de décision mis en œuvre que soient prises en compte les éventuelles observations de l’intéressée formulées au sujet des travaux menés à cet effet.

Référence(s)

ILOAT Judgment(s): 1484, 1817, 3124

Mots-clés

Licenciement; Droit d'être entendu

Considérant 12

Extrait:

[S]elon une jurisprudence bien établie du Tribunal, un fonctionnaire doit, en règle générale, avoir connaissance de toutes les pièces sur lesquelles une autorité fonde – ou s’apprête à fonder – une décision défavorable à son égard (voir, par exemple, les jugements 3688, au considérant 29, 3295, au considérant 13, ou 2700, au considérant 6). En l’espèce, la requérante aurait donc dû se voir communiquer le rapport en cause en temps utile pour lui permettre d’en contester les conclusions avant que ne soit prise la décision statuant sur sa situation, dès lors qu’aucun motif légitime ne s’opposait, à l’évidence, à une telle communication.

Référence(s)

ILOAT Judgment(s): 2700, 3295, 3688

Mots-clés

Production des preuves

Considérant 15

Extrait:

[L]e Tribunal n’ordonnera […] pas la réintégration de la requérante au sein de l’OIT.
Une telle réintégration apparaît en effet inopportune dès lors qu’il ressort du dossier que, eu égard à la nature et à l’ampleur des troubles fonctionnels dont souffre la requérante, il est fortement à craindre que, même si l’OIT parvenait à identifier un poste pouvant être aménagé en conséquence, les conditions dans lesquelles ce poste serait ainsi occupé ne seraient pas satisfaisantes pour l’Organisation et, par suite, que l’intéressée se trouverait inévitablement placée dans une situation concrète peu valorisante qui ne lui permettrait pas, de toute façon, de s’épanouir pleinement dans son travail. De ce point de vue, le Tribunal estime somme toute objectivement préférable, dans l’intérêt de la requérante elle-même, que celle-ci s’attache, compte tenu du grand nombre d’années que peut encore comporter sa vie professionnelle, à se réorienter vers une activité plus naturellement compatible avec les troubles en question que des fonctions administratives telles que celles susceptibles de lui être proposées au sein de l’Organisation.
De surcroît, l’examen du dossier révèle l’existence d’un climat de tension – que confirme la vivacité de ton des écritures échangées par les parties dans le cadre de la présente instance – entre la requérante et les services de l’Organisation, qui rendrait sans doute délicat, en pratique, un retour de l’intéressée au BIT. À cet égard, le Tribunal relève que, dans son rapport de 2014, la Commission d’invalidité avait déjà observé qu’une réintégration de la requérante, si elle devait certes «être tentée en première intention», n’en serait pas moins «difficile» pour celle-ci sur le plan émotionnel. Or, le caractère conflictuel des relations entre l’intéressée et le BIT n’a visiblement fait que se confirmer – voire s’aggraver – depuis lors.

Mots-clés

Réintégration

Considérant 16

Extrait:

[L]a requérante, qui a été privée, du fait des irrégularités ayant entaché la résiliation de son engagement, d’une chance appréciable de conserver sa relation d’emploi avec l’OIT, au moins à titre provisoire, a droit, en revanche, à se voir indemnisée du préjudice matériel qui lui a ainsi été causé.
Eu égard notamment à l’âge de la requérante à la date de son licenciement, qui était seulement de 43 ans, et au fait que celle-ci était au bénéfice, depuis 2008, d’un contrat sans limitation de durée, le Tribunal estime qu’il sera fait une juste réparation de ce préjudice, en l’espèce, en condamnant l’OIT à verser à l’intéressée, en sus des sommes qui lui ont déjà été attribuées lors de la résiliation de son engagement, l’équivalent des traitements et indemnités de toute nature dont celle-ci aurait bénéficié si l’exécution de son contrat s’était poursuivie au-delà du 31 mai 2018 pendant une durée de deux ans, déduction faite des éventuels revenus professionnels qu’elle aurait perçus par ailleurs pendant cette période. L’Organisation devra également verser à la requérante l’équivalent des cotisations de retraite dont elle aurait normalement dû s’acquitter auprès de la Caisse commune des pensions du personnel des Nations Unies en tant qu’employeur de celle-ci au titre de la même période. Toutes les sommes en cause porteront intérêts au taux de 5 pour cent l’an à compter de leurs dates d’échéance respectives jusqu’à la date de leur paiement.

Mots-clés

Tort matériel; Perte de chance

Considérant 18

Extrait:

L’illégalité entachant la résiliation d’engagement litigieuse a par ailleurs, eu égard à la nature même et aux graves effets de cette mesure ainsi qu’à la méconnaissance des droits de la requérante qui a accompagné son adoption, occasionné à l’intéressée un substantiel préjudice moral, qui appelle également réparation. Ainsi que le souligne à juste titre la requérante, ce préjudice s’est en outre trouvé aggravé par la durée des procédures administratives mises en œuvre, qui, entre le déclenchement de la première initiative visant à une telle résiliation d’engagement, en janvier 2013, et l’intervention de la décision du 9 mai 2018 – soit sans même tenir compte de la procédure de recours interne subséquente – se sont étalées sur plus de cinq ans. La lenteur de ces procédures, que la complexité de celles-ci, invoquée par la défenderesse, ne suffit pas à justifier totalement, a en effet eu pour conséquence de placer abusivement la requérante dans une situation d’incertitude prolongée, par nature génératrice de stress, quant à l’avenir de sa relation d’emploi avec l’Organisation. Dans les circonstances de l’espèce, le Tribunal estime qu’il sera fait une juste réparation de l’ensemble de ce préjudice moral en allouant à l’intéressée, à ce titre, une indemnité de 30 000 francs suisses.

Mots-clés

Tort moral; Retard

Considérant 19

Extrait:

La requérante demande au Tribunal d’ordonner à l’OIT de «prendre toute autre mesure requise pour l’accommoder» et, en particulier, d’assumer les frais liés à une éventuelle réorientation professionnelle visant à lui permettre d’exercer un emploi compatible avec ses troubles fonctionnels. Mais il n’appartient pas au Tribunal de prononcer des injonctions de cette nature à l’égard des organisations internationales (voir, par exemple, les jugements 4039, au considérant 17, 3835, au considérant 6, ou 3506, au considérant 18).

Référence(s)

ILOAT Judgment(s): 3506, 3835, 4039

Mots-clés

Compétence du Tribunal; Injonction



 
Last updated: 25.04.2023 ^ top