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Jugement n° 4697

Décision

1. La décision du Directeur général du 12 octobre 2021 ainsi que celle du 27 mars 2020 sont annulées.
2. Eurocontrol devra rembourser au requérant toutes les sommes retenues sur sa pension depuis le 1er avril 2020 en application de ces décisions, et ce, selon les modalités indiquées au considérant 25 du jugement.
3. L’Organisation versera également au requérant une indemnité de 25 000 euros à titre de dommages-intérêts pour tort moral.
4. Elle lui versera enfin la somme de 8 000 euros à titre de dépens.
5. Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Synthèse

Le requérant conteste la décision du Directeur général de lui infliger la sanction disciplinaire de rétrogradation.

Mots-clés du jugement

Mots-clés

Requête admise; Procédure disciplinaire

Considérant 1

Extrait:

Le Tribunal relève que, en vertu de la dernière phrase du paragraphe 2 de l’article 92 du Statut administratif, une décision implicite de rejet de la réclamation de l’intéressé, susceptible d’être attaquée devant le Tribunal, était née à l’expiration d’un délai de quatre mois à compter de l’introduction de cette réclamation, soit le 29 septembre 2020. Dès lors, à la date du 17 décembre 2020 où le requérant a introduit sa requête, les voies de recours interne dont il disposait avaient bien été épuisées. La requête est ainsi recevable.

Mots-clés

Recevabilité de la requête

Considérant 2

Extrait:

Dans ses écritures supplémentaires, tenant compte du fait que, depuis l’introduction de sa requête et de sa réplique, l’avis de la Commission paritaire des litiges sur sa réclamation du 29 mai 2020 a été rendu le 6 octobre 2021 et qu’une décision de rejet explicite de cette réclamation a été prise le 12 octobre 2021 par le Directeur général, le requérant attaque également cette décision.
Dès lors que les parties ont eu la possibilité de s’exprimer pleinement dans leurs écritures au sujet de cette décision de rejet explicite de la réclamation du requérant du 29 mai 2020, le Tribunal estime qu’il y a lieu de requalifier la requête comme dirigée contre cette dernière décision.

Mots-clés

Décision attaquée

Considérant 3

Extrait:

Le requérant sollicite la tenue d’un débat oral. Mais le Tribunal estime que les parties ont présenté des écritures et des documents suffisamment abondants et explicites pour lui permettre d’être dûment informé de leurs arguments et des éléments de preuve pertinents. Cette demande de débat oral est donc rejetée.

Mots-clés

Débat oral

Considérant 4

Extrait:

Le requérant demande [...] que la présente requête soit jointe à sa quatrième requête, portant sur sa demande d’annulation de la décision concluant au caractère injustifié de certaines de ses absences au motif que les deux requêtes trouveraient leur origine dans les mêmes faits, ce à quoi s’oppose l’Organisation. Puisque chacune des requêtes concerne des décisions attaquées qui sont différentes, des avis de la Commission paritaire des litiges qui sont distincts et des dispositions du Statut administratif du personnel permanent de l’Agence Eurocontrol qui ne sont pas en tous points les mêmes, le Tribunal considère qu’il convient de traiter les deux affaires séparément et de prononcer des jugements distincts dans chacune de celles-ci. La jonction des requêtes n’est donc pas ordonnée.

Mots-clés

Jonction

Considérant 5

Extrait:

Dans un contexte tel que celui qui prévalait dans la présente espèce, le Tribunal considère que le Directeur-général de l’Organisation ne pouvait s’écarter des avis unanimes du Conseil de discipline et de la Commission paritaire des litiges que pour des motifs clairs et convaincants (voir le jugement 4504, au considérant 10).

Référence(s)

Jugement(s) TAOIT: 4504

Mots-clés

Motivation

Considérant 11

Extrait:

Il résulte d’une jurisprudence constante du Tribunal qu’avant d’adopter une mesure disciplinaire envers un fonctionnaire, les organisations internationales doivent lui donner la possibilité de se défendre de manière contradictoire (voir, par exemple, le jugement 3875, au considérant 3). Cela vise à ce que le fonctionnaire soit mis à même d’exposer pleinement son point de vue, dans l’objectif de lui permettre d’être dûment entendu. Dans le jugement 4408, au considérant 4, le Tribunal a rappelé l’importance de ces principes en ces termes: «4. Le Tribunal rappelle que le respect du principe du contradictoire et du droit d’être entendu dans le cadre de la procédure de recours interne exige que le fonctionnaire concerné soit mis à même de présenter ses observations sur toutes les questions pertinentes se rapportant à la décision contestée et, en particulier, sur tous les arguments soulevés par l’organisation (voir le jugement 2598, au considérant 6)».

Référence(s)

Jugement(s) TAOIT: 2598, 3875, 4408

Mots-clés

Procédure disciplinaire; Application des règles de procédure dans la procédure disciplinaire

Considérant 12

Extrait:

La jurisprudence du Tribunal établit [...] qu’en matière de mesures disciplinaires, le droit du fonctionnaire à une procédure régulière implique, pour une organisation, l’obligation de prouver la faute alléguée au-delà de tout doute raisonnable. Cela sert un objectif propre au droit de la fonction publique internationale et doit être mis en relation avec le fait qu’une procédure disciplinaire peut souvent avoir de graves conséquences pour le fonctionnaire concerné (voir, par exemple, les jugements 4478, au considérant 10, 4362, aux considérants 7, 8 et 10, et 4360, au considérant 10).

Référence(s)

Jugement(s) TAOIT: 4360, 4362, 4478

Mots-clés

Procédure disciplinaire; Niveau de preuve; Au-delà de tout doute raisonnable

Considérants 14-15

Extrait:

Le Tribunal estime que ces dispositions propres au Statut administratif d’Eurocontrol font bien ressortir que les fonctionnaires de l’Organisation sont en droit de bénéficier d’une procédure régulière qui leur permette d’être pleinement entendus sur la faute qui leur est reprochée, ainsi que d’une occasion réelle de s’exprimer sur «la sanction envisagée» à leur endroit, tant au regard de sa teneur que de son caractère proportionnel eu égard aux faits reprochés.
En l’espèce, compte tenu du fait que le Directeur général pouvait appliquer un large éventail de sanctions qui devaient être proportionnelles à la faute concernée et dont les conséquences pouvaient être importantes pour l’intéressé selon la sévérité de celle qui serait retenue, le Tribunal estime que les dispositions ci-dessus évoquées exigeaient que le requérant ait l’opportunité de formuler ses observations sur la sanction envisagée par le Directeur général avant que celle-ci ne lui soit infligée. […]
Le Tribunal considère que l’Organisation a ainsi méconnu ses propres règles en matière disciplinaire et porté substantiellement atteinte au droit, que l’intéressé tirait du Statut administratif, de pouvoir être entendu en vue de faire valoir ses observations sur la sanction qu’il était envisagé de lui infliger. Cette violation des textes était d’autant plus grave que la sanction en cause était sérieuse et lourde de conséquences pour le requérant, car une rétrogradation de deux grades entraînait une réduction immédiate et permanente de près de 20 pour cent du montant de sa pension.

Mots-clés

Patere legem; Procédure disciplinaire; Droit d'être entendu

Considérant 21

Extrait:

[S]elon la jurisprudence constante du Tribunal, le niveau de preuve auquel est astreint l’Organisation en matière de procédure disciplinaire est celui de la preuve au-delà de tout doute raisonnable (voir, par exemple, les jugements 4478, au considérant 10, et 4247, aux considérants 11 et 12)[…].

Référence(s)

Jugement(s) TAOIT: 4247, 4478

Mots-clés

Niveau de preuve; Au-delà de tout doute raisonnable

Considérant 22

Extrait:

Dans le jugement 4491, au considérant 19, le Tribunal a rappelé que «[l]e fonctionnaire accusé d’avoir commis une faute bénéficie de la présomption de non-culpabilité et le doute doit lui profiter». De même, dans le jugement 3969, au considérant 16, le Tribunal a souligné que, lorsque le chef exécutif d’une organisation cherche à motiver ses conclusions et sa décision de s’écarter de celle d’un comité de discipline, il doit établir au-delà de tout doute raisonnable la conduite ou le comportement reproché à un requérant. Enfin, dans le jugement 4047, au considérant 6, le Tribunal a rappelé qu’il est également de jurisprudence constante que le «Tribunal ne cherchera pas à déterminer si les parties se sont acquittées de la charge de la preuve; au lieu de cela, il étudiera les pièces du dossier pour déterminer si l’organe de première instance aurait pu, au-delà de tout doute raisonnable, conclure à la culpabilité de l’intéressé».
En l’espèce, le Tribunal considère qu’il est manifeste, ainsi que l’ont exprimé les avis unanimes du Conseil de discipline et de la Commission paritaire des litiges, que l’administration ne pouvait conclure au-delà de tout doute raisonnable à la culpabilité de l’intéressé en ce qui concerne les violations alléguées des dispositions statutaires invoquées.

Référence(s)

Jugement(s) TAOIT: 4047, 4491

Mots-clés

Charge de la preuve; Présomption d'innocence; Bénéfice du doute; Sanction disciplinaire; Procédure disciplinaire; Contrôle du Tribunal

Considérant 23

Extrait:

Devant ces constatations, le Tribunal estime que le Directeur général ne pouvait s’écarter des avis unanimes du Conseil de discipline et de la Commission paritaire des litiges comme il l’a fait. Les motifs qu’il a exprimés dans les décisions litigieuses ne satisfont pas à la norme exigeante d’une démonstration claire et convaincante établissant que l’Organisation pouvait conclure, au-delà de tout doute raisonnable, à la culpabilité de l’intéressé.

Mots-clés

Motivation; Niveau de preuve; Au-delà de tout doute raisonnable

Considérant 24

Extrait:

S’agissant [...] du [...] moyen du requérant, qui porte sur le caractère illégal et disproportionné de la sanction infligée, le Tribunal a rappelé, dans son jugement 4504, au considérant 11, que «[l]e défaut de proportionnalité doit être considéré comme une erreur de droit justifiant l’annulation d’une mesure disciplinaire, même si la décision en cause est de nature discrétionnaire. Lorsque l’on cherche à déterminer si une mesure disciplinaire est disproportionnée au regard de la faute commise, il y a lieu de prendre en compte les circonstances, tant objectives que subjectives (voir le jugement 4478, au considérant 11, et la jurisprudence citée).»

Référence(s)

Jugement(s) TAOIT: 4478, 4504

Mots-clés

Proportionnalité; Sanction disciplinaire

Considérant 26

Extrait:

S’agissant de la conclusion du requérant visant à l’octroi de dommages-intérêts pour préjudice moral à hauteur de 50 000 euros, il est bien établi dans la jurisprudence du Tribunal, d’une part, que les organisations internationales sont tenues de s’abstenir de tout comportement de nature à porter atteinte à la dignité de leurs fonctionnaires et que, en vertu du principe général de bonne foi et du devoir de sollicitude qui y est lié, elles doivent avoir envers leurs fonctionnaires les égards nécessaires pour leur éviter des dommages inutiles (voir, par exemple, le jugement 4559, au considérant 10).
D’autre part, il est aussi de jurisprudence constante que les recours internes doivent être menés avec la diligence voulue et avec la sollicitude qu’une organisation internationale doit à ses fonctionnaires (voir le jugement 4178, au considérant 15).

Référence(s)

Jugement(s) TAOIT: 4178, 4559

Mots-clés

Tort moral; Recours interne; Bonne foi; Obligations de l'organisation; Devoir de sollicitude

Considérant 26

Extrait:

[I]l est vrai que, dans ses écritures, le requérant n’articule que de façon succincte les justifications à l’appui du préjudice moral allégué. Mais le Tribunal n’en constate pas moins que, au vu des écritures et des pièces du dossier, l’intéressé a immanquablement subi un lourd préjudice moral en raison du traitement parfois arbitraire dont il a fait l’objet, de l’atteinte à ses droits résultant de l’absence d’information préalable quant à la sanction qui lui a été infligée et des propos particulièrement sévères du Directeur général à son endroit.
Par ailleurs, la décision définitive de rejet du Directeur général a été notifiée à l’intéressé le 12 octobre 2021, plus de seize mois après l’introduction de sa réclamation du 29 mai 2020. Le Tribunal considère que ce délai, qui dépasse sensiblement celui de quatre mois prévu par le paragraphe 2 de l’article 92 du Statut administratif, était excessif et déraisonnable dans les circonstances de l’espèce.
Le Tribunal estime qu’il sera fait juste réparation de l’ensemble de ce préjudice moral en octroyant à l’intéressé une indemnité de 25 000 euros.

Mots-clés

Tort moral; Dommages-intérêts; Retard dans la procédure interne



 
Dernière mise à jour: 31.01.2024 ^ haut